
La ministre de la culture, en se vantant d’apporter la culture partout où sont les Français, se met non seulement encore un peu plus à dos un secteur affaibli financièrement, mais mène un combat superflu : les inégalités ne sont pas là où elle le pense, relève dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Soignant son profil de ministre de la culture qui ne fait pas comme les autres, ignorant au passage superbement les casseroles qu’elle traîne derrière elle, Rachida Dati vient de lancer un « plan camping ». Oui, de l’art sous la tente et entre les piquets. Elle propose pour l’été des animations, spectacles, lectures – à la mer et à la campagne. Au plus près des vacances populaires. Un objectif est déjà atteint : énerver les décideurs culturels. La ministre les rend fous. Et ça la ravit, comme si indigner faisait programme.
Dans une vidéo postée le 23 mai sur son compte Instagram, Rachida Dati est filmée au camping de La Marina, à Canet-en-Roussillon (Pyrénées-Orientales), puis s’adresse à la caméra : « C’est une première… Alors je n’ai qu’une chose à dire : Rejoignez-nous ! »
Les campings attirent chaque année 28 millions de vacanciers. C’est le premier logement touristique du pays. Dati y fonce, tant le lieu colle à son mantra : « La culture doit aller partout où sont les Français. » Pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, elle a choisi pour parrains Fabien Onteniente, le réalisateur de Camping, Camping 2, Camping 3, qui a lâché un « Pastis à La Marina, pastis avec Rachida », et l’acteur phare de la saga, Franck Dubosc, adepte de la formule rustique en slip de bain cintré.
Enième provocation
Sans doute le terme de « plan » est un chouia grandiloquent, et Rachida Dati s’enivre quand elle écrit que les campings seront les « plus grandes scènes culturelles » de l’été. Il existe 7 000 campings dans l’Hexagone, mais l’opération n’en touchera que 500. L’Etat y « met » 1,8 million d’euros, ce qui est mince pour sensibiliser à l’art les masses. Il faudra voir aussi comment les projections de films, les spectacles, les prêts de livres ou les ateliers de sculpture trouveront leur place au milieu des soirées dansantes, karaokés, repas à thème et apéro-spectacles.
Les acteurs culturels ont déjà réagi, dénonçant une énième provocation de la ministre. Dati va au camping au moment où le secteur subit des coupes financières sans précédent, surtout de la part des collectivités locales – sans qu’elle réagisse. Elle vante une action de terrain, alors qu’elle a fortement réduit l’enveloppe budgétaire dévolue au tissu associatif local. Il y a, enfin, ce message subliminal, en forme d’avertissement aux acteurs culturels : « Je parle au peuple, vous en êtes incapables. »
Ces derniers ont la réponse rude sur Instagram : « Vous avez le culot de proposer ça au moment où la culture souffre », « vous réduisez la culture à de l’animation », « c’est abject, nous n’avons pas la même définition du mot “culture” », etc. La vidéo de la ministre au camping est tournée en ridicule, notamment en étant associée à une chanson, Miss Camping (1995), d’un dénommé Boris, sur le thème très élégant « ça va chauffer dans les bermudas ».
Faire du Dati à l’envers en dénonçant son « populisme », c’est faire fausse route. Que deux Français sur trois ne mettent pas les pieds au musée est un sujet. Non, le « plan camping » est superflu pour une autre raison : l’été est la saison – et de loin – où la France rurale est la plus riche de spectacles, expositions, festivals en tout genre (autour de 4 000 entre juillet et août), dans les villages et même les prairies. Pourquoi charger une barque déjà bien pleine en ajoutant quelques animations dans des campings ?
Fantasmes et poncifs
C’est en automne et surtout en hiver que la France rurale manque cruellement d’offre culturelle. Mais c’est moins glamour de lancer des actions sous un ciel bas et lourd. Le cadre est moins enchanteur pour se mettre en scène dans une vidéo. Dati fait de l’affichage. D’autres ministres avant elle ont fait pareil, croyant corriger une...
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