
Sous la houlette de Maëlle Poésy, le rendez-vous de printemps fait la part belle aux projets internationaux, pluridisciplinaires et portés par des artistes femmes.
A Dijon, le festival Théâtre en mai fait sa mue et en ressort tout beau tout neuf. Ce rendez-vous de printemps a toujours été un jalon important dans le paysage théâtral, depuis sa création, en 1990, par François Le Pillouër. Aujourd’hui, il se renouvelle sous la houlette de Maëlle Poésy, qui fait de son premier festival l’acte fondateur de sa direction du Théâtre Dijon-Bourgogne-Centre dramatique national, dont elle a pris la tête en janvier.
Maëlle Poésy ne s’inscrit pas en rupture par rapport à son prédécesseur, Benoît Lambert. Mais elle appose sa patte, en ouvrant plus largement le festival sur l’international, sur le territoire de la ville de Dijon et sur les formes pluridisciplinaires. « Les écritures d’aujourd’hui, ce sont des artistes qui écrivent au plateau de multiples manières, avec une inventivité foisonnante, constate-t-elle. Je voulais aussi qu’il y ait une vraie diversité de choix entre des formes documentaires et des formes plus poétiques, qui transcendent notre réalité. On a plus que jamais besoin, en ce moment, de l’espace du rêve et de l’imaginaire qu’apporte l’art. »
Sans que ce soit revendiqué comme tel, ce premier festival version Poésy est aussi très féminin et féministe. On n’en est plus, ici, à tenter péniblement d’atteindre une parité femmes-hommes à coups de bricolages et d’affichages. La plupart des projets de ce Théâtre en mai sont conduits par des artistes femmes, qu’elles soient autrices, metteuses en scène, chorégraphes ou circassiennes.
Création en plein air
Jusqu’au 29 mai, on pourra voir des spectacles de la chorégraphe et performeuse néerlandaise Roshanak Morrowatian, de l’autrice-metteuse en scène Tamara Al Saadi, ou de Chloé Moglia, l’artiste qui fait exploser les frontières du cirque. Sans compter la recréation d’un spectacle culte de la reine des iconoclastes, la Belge Miet Warlop. Maëlle Poésy, elle, a fait le choix d’une création hors les murs, en plein air, avec Gloire sur la terre, un texte où l’autrice écossaise Linda McLean se penche sur la figure de Marie Stuart. Du côté des hommes, les artistes invités ne sont pas tout à fait des inconnus, puisqu’il s’agit de Tiago Rodrigues (avec son Chœur des amants) et de David Geselson (avec Le Silence et la peur, pièce inspirée par la chanteuse Nina Simone).
Ce sont des artistes femmes, aussi, qui ont signé les quatre spectacles d’ouverture. La grande marionnettiste norvégienne Yngvild Aspeli a ouvert le ban avec Dracula Lucy’s Dream, soit sa vision du mythe vampirique passée au filtre de réécritures nordiques. La metteuse en scène n’a pas son pareil pour créer des univers oniriques et hypnotiques, armée de son talent visuel, de la musique de sa comparse Ane Marthe Sorlien Holen, sorte de Björk norvégienne, et de ses marionnettes à taille humaine, extrêmement expressives.
On retrouve ce sens de l’atmosphère dès le début de ce spectacle en forme de cauchemar, qui s’ouvre avec des loups hurlant dans la nuit, et qui mêle tableaux plastiques et cartons de cinéma muet. C’est beau. Mais sur le plan dramaturgique, cette création déçoit. Centrée sur la figure de Lucy, l’une des victimes du comte Dracula, elle donne l’impression de tirer sur la corde, de manière assez répétitive, de la relation, forcément complexe, entre le vampire et sa proie. C’est dommage : le talent qu’a Yngvild Aspeli pour orchestrer l’animé et l’inanimé avait évidemment toute sa pertinence, dans cette histoire où la vie et la mort se sucent le sang l’une l’autre.
Belle découverte
Cette ouverture de festival a par ailleurs offert une belle découverte, en la personne de Teresa Coutinho. Cette actrice, autrice et metteuse en scène portugaise a travaillé avec Christiane Jatahy, Gus Van Sant ou Tiago Rodrigues, avant de créer ses propres spectacles. Celui qu’elle a présenté à Dijon, Solo, est à la fois drôle, émouvant et percutant, en mettant en jeu de manière très personnelle les rôles qui enferment les femmes, les représentations de la féminité.
Si ce Solo touche aussi juste, c’est d’abord parce que Teresa Coutinho part d’expériences intimes, de la découverte de son homosexualité aux clichés qui ont pu lui être renvoyés pendant ses années d’apprentissage du théâtre. C’est aussi parce qu’elle trouve la forme pour le dire : une sorte de rituel qui mêle récit autobiographique, image vidéo, réflexion sur la question du miroir, dramaturgie du vêtement… Enfin parce que Teresa Coutinho a une présence scénique irrésistible : elle a quelque chose des grandes danseuses de Pina Bausch, auxquelles elle fait d’ailleurs allusion dans son spectacle.
Les deux autres créations d’ouverture de Théâtre en mai ont nettement moins convaincu. Et toutes deux pour les mêmes raisons : des formes documentaires assez paresseuses, peinant à donner une forme au réel...
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