
À l’aube d’un été qui s’annonce meurtrier, le milieu culturel est déjà sous le choc des coupes budgétaires opérées par de nombreux exécutifs régionaux. Récit d’une bataille idéologique en forme d’offensive contre tout un secteur.
Le 7 mai 2025, la ministre de la culture, Rachida Dati, est l’invitée de la matinale de France Inter et étrille la station – « Ça devient un club, les CSP+ et plus âgés » – ainsi que la présidente de Radio France, Sibyle Veil, accusée notamment de caricaturer son projet de fusion de l’audiovisuel public. L’humoriste Charline Vanhoenacker ironise le lendemain : « Dans ce métier, quand tu te fais humilier par ta N + 2, c’est devant la France entière. C’est tellement violent, on se serait cru à Bétharram… »
Si même la bonne soldate du macronisme qu’est Sibyle Veil peut subir les foudres de Rachida Dati, que dire de l’état du reste du monde culturel, qui subit aujourd’hui un « plan social » dont l’ampleur est inversement proportionnelle à la résonance qu’il suscite dans la « France entière » ?
Un plan de licenciement massif doublé d’une offensive idéologique qui ressemble à une revanche et à une punition davantage qu’à la défense du « pluralisme » que la ministre de la culture oppose constamment à ses critiques…
Un colloque qui s’est tenu le 22 mai, organisé à l’Assemblée nationale par la députée de La France insoumise (LFI) Sarah Legrain, intitulé « Culture en danger », permettait de prendre la mesure d’une situation catastrophique.
Les différentes personnes qui sont intervenues, originaires notamment de territoires concernés par des décisions drastiques des exécutifs régionaux, ont, de façon unanime, insisté sur la dimension politique et idéologique des coupes massives dans les subventions culturelles, présentées pourtant comme de simples participations à un effort budgétaire collectif.
Des choix budgétaires et idéologiques
Pour Joris Mathieu, directeur du Théâtre Nouvelle Génération-Centre national dramatique (CDN) de Lyon, qui a vu s’évaporer la totalité de la participation de la région Auvergne-Rhône-Alpes : « Nous sommes face à des élus qui se servent du paravent économique pour mettre en œuvre une démolition de la culture, des sciences ou de l’éducation, c’est-à-dire des outils et des lieux susceptibles de combattre la progression des droites extrêmes. Toute volonté autoritaire a besoin d’abord de déstabiliser ce qui est institutionnalisé et d’engendrer au préalable une forme de chaos, comme celle que nous vivons actuellement. »
Emmanuelle Gourvitch, présidente du Synavi (Syndicat national des arts vivants), tient un discours symétrique : « Ce n’est pas d’économies qu’il est question, mais bien d’une bataille idéologique. Les économies sur la culture ne changeront rien à la dette française, alors que les conséquences sur nos actions sont terribles. »
"Tout ce qui n’est pas lucratif est visé par cette technique qui consiste à nous affamer pour nous rendre moins efficients."
Emmanuelle Gourvitch, présidente du Synavi
Selon une estimation, le secteur culturel représenterait en France 2,3 % de l’ensemble de l’économie mais il est parfois mis en avant, pour tenir compte des activités indirectes, une « empreinte culturelle » estimée à 7 % du PIB.
Quels que soient les chiffres retenus, pour Emmanuelle Gourvitch, « nous sommes aujourd’hui face à un plan social qui ne dit pas son nom, à la fois en termes de licenciements d’ores et déjà en cours mais aussi si on raisonne sur les centaines de postes qui ne verront pas le jour pour des décorateurs, des éclairagistes, des metteurs en scène… »
Preuve, selon elle, d’une offensive généralisée, le fait que « ce qui arrive dans la culture concerne aussi le secteur associatif, social, éducatif… » : « Tout ce qui n’est pas lucratif est visé par cette technique qui consiste à nous affamer pour nous rendre moins efficients et justifier, à terme, notre disparition. »
Depuis un autre champ que celui du théâtre – le plus directement et violemment touché à l’heure actuelle –, Stéphane Krasniewski, directeur du festival Les Suds à Arles et président du Syndicat des musiques actuelles, tient un discours proche : « Si on néglige la dimension idéologique, on passe à côté du vrai sujet. Bien sûr, les coupes actuelles dans les budgets culturels auront des conséquences dramatiques en termes d’emplois. Mais ce qu’on fabrique dans le même temps, c’est un boulevard pour ces milliardaires pour lesquels les festivals et les salles sont des structures de fabrique de l’opinion. Bolloré n’est pas le seul à s’activer dans les médias et la culture, il y a aussi Bernard Arnault, Matthieu Pigasse et d’autres… »
Dans les rares collectivités territoriales sereines face aux resserrements financiers, cette dimension politique de mesures présentées comme relevant d’une dimension budgétaire est particulièrement visible.
Florian Kobryn, conseiller d’opposition non inscrit en Alsace, ironise ainsi : « Mon département [dirigé par Les Républicains (LR) – ndlr] a décidé d’une baisse de 2,6 millions du budget de la culture, alors même que notre budget général est excédentaire de plus de 100 millions ! En revanche, il a été décidé d’investir plus d’un million en neige artificielle. La baisse du budget de la culture relève d’un choix et d’un arbitrage, pas d’une nécessité. »
La chorégraphe Phia Ménard, dont la compagnie Non Nova a perdu 45 000 euros net de subvention de la région, a « dû licencier deux personnes ». Elle met en regard la décision de la présidente Horizons des Pays de Loire, Christelle Morançais, de couper de 100 millions d’euros le budget 2025 de la culture – soit une baisse de 73 % – et le rôle politique à ses côtés d’Alexandre Thébault.
Celui qui est devenu conseiller à la culture et au patrimoine de la région et a, à ce titre, choisi les structures qui verraient leur subvention disparaître, vient en effet de Sens commun, groupuscule issu de La Manif pour tous et partisan de la fusion des droites.
Et il cherche, poursuit Phia Ménard, « à faire disparaître, au-delà des questions LGBT, toutes les questions sociales que la culture peut aborder. Il a aussi pris la tête de la maison Julien-Gracq et va donc désormais décider quels auteurs y seront accueillis en résidence ».
Pour la députée insoumise de Paris Sarah Legrain, organisatrice du colloque « Culture en danger », « les coupes budgétaires dans la culture doivent être regardées comme des décisions politiques. Cela va de l’annonce faite par la région Paca dirigée par Renaud Muselier qu’elle retirerait sa subvention à l’école de cinéma marseillaise Kourtrajmé si celle-ci ne renonçait pas à l’écriture inclusive, au fait que si le secteur culturel est aujourd’hui particulièrement ciblé, c’est parce qu’il se situe au cœur de la riposte antifasciste ».
Si le facteur idéologique constitue la superstructure des baisses de budget dans le domaine culturel des collectivités territoriales, ces choix ont un impact social immédiat, tissé d’une multitude de drames hétérogènes et localisés passant facilement sous les radars.
« Sur les 78 scènes nationales, majeures pour la diffusion du spectacle vivant, la perte de représentations entre 2024 et 2025 est d’environ un millier, note Joris Mathieu. Pour donner une idée de l’accélération, c’est l’équivalent en un an du nombre de représentations perdues entre 2019 et 2024. »
Si les scènes nationales bénéficient de financements croisés et de conventions avec le ministère de la culture qui ne sont pas – pour l’instant – concernées, les lieux culturels plus petits et dépendants d’une seule collectivité territoriale sont aujourd’hui d’une vulnérabilité totale.
Mélanie Vindimian, directrice artistique de la petite compagnie Pois plume en Pays de la Loire, qui intervient beaucoup en milieu scolaire, constate ainsi que « d’habitude [ils ont] une dizaine de dates signées pour la rentrée. Aujourd’hui, [ils] n’en [ont] pas une seule. C’est la première fois que cela [leur] arrive en dix ans d’existence ».
Elle explique qu’en Pays de la Loire, ce sont « près de cinq cents structures qui se sont vu supprimer l’intégralité de leur subvention régionale. Le théâtre régional des Pays de Loire se cherche un nouveau nom et a licencié trois de ses cinq salariés, dont son directeur. La Tournée des villages qu’il organise chaque été va être amputée de moitié, avec seulement trente représentations sur les soixante prévues initialement ».
"Il faut qu’on soit physiquement présents dans les endroits en lutte, et qu’on ne se contente pas de s’activer sur nos téléphones portables."
Phia Ménard, chorégraphe
Tous les acteurs et actrices du champ culturel soulignent le cercle pervers du moment : la baisse des subventions pèse directement sur la diffusion des créations ainsi que sur le nombre de...
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