
Le linguiste Raffaele Simone analyse l’action de l’extrême droite au pouvoir dans le secteur culturel et explique comment les créateurs résistent face à son offensive.
Et demain ? Que se passerait-il si l’extrême droite arrivait au pouvoir ? Dans le monde culturel français, l’exemple italien revient souvent, comme une hantise. Près de trois ans après l’arrivée au pouvoir de Giorgia Meloni, Raffaele Simone, linguiste et professeur émérite à l’Université de Rome, auteur du prémonitoire le Monstre doux : l’Occident vire-t-il à droite ? (ed. Gallimard, 2010), analyse l’action du gouvernement Meloni dans le secteur de la culture.
L’extrême droite italienne a-t-elle cherché à imposer une politique culturelle ?
Le gouvernement Meloni s’est emparé au fur et à mesure de tous les postes disponibles. Ils ont évidemment commencé par le ministère des Biens culturels. Le premier désigné, Gennaro Sangiuliano, est un modeste journaliste de la Rai [l’audiovisuel public italien, ndlr], auteur entre autres d’une biographie de Poutine. Son successeur, Alessandro Giuli, lui aussi journaliste, est un véritable idéologue d’extrême droite. A la Biennale de Venise, ils ont nommé Pietrangelo Buttafuoco, pratiquement le seul personnage culturellement présentable dont dispose l’extrême droite. Puis du jour au lendemain, ils ont remplacé le surintendant de la Scala de Milan et celui du San Carlo de Naples, le plus ancien théâtre lyrique d’Italie. Dans la foulée, ils ont changé de nombreux directeurs d’instituts culturels italiens à l’étranger. A la tête de l’importante Galerie nationale d’art moderne et contemporain (Gnam) de Rome, ils ont nommé Cristina Mazzantini, fille de Carlo Mazzantini, un célèbre combattant de la République sociale de Salò [un Etat fantoche créé par Mussolini et contrôlé par les nazis de 1943 à 1945].
Qu’est-ce que cela change en termes de programmation ?
La Gnam accueille désormais des initiatives qui n’ont pas grand-chose à voir avec ses missions, comme une exposition consacrée à J. R. R. Tolkien, l’auteur du Seigneur des anneaux adopté par Giorgia Meloni comme conteur des mythes de la droite. L’exposition récente sur le futurisme a aussi donné lieu à des polémiques. Les spécialistes de ce mouvement artistique italien [un courant artistique important du début du XXe siècle mais qui a aussi frayé avec le fascisme] ont préféré démissionner du conseil scientifique. Quand certains employés de la Galerie ont protesté contre la présentation dans leur bâtiment d’un livre du directeur du Secolo d’Italia [organe du parti d’extrême droite Fratelli d’Italia], Italo Bocchino, leurs noms ont été signalés par la direction du musée au ministère. C’est le climat actuel dans la culture.
La mainmise de l’extrême droite se fait donc sentir principalement par l’occupation des postes de pouvoir ?
Pas seulement. Après la nomination à la direction artistique du prestigieux Théâtre de la Pergola de Florence du dramaturge Stefano Massini qui ne plaisait pas au nouveau pouvoir, la fondation Théâtre de la Toscane, dont dépend la Pergola, a été déclassée de théâtre national à théâtre communal, ce qui implique évidemment des pertes de subventions. Le gouvernement a aussi compris que...
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