
Face aux offensives organisées par la droite et l’extrême droite, et alors que l’Etat semble baisser les bras, les moyens manquent pour aider les professionnels de la culture à faire face aux pressions.
Après plusieurs mois de polémique, la Belle et la Bête «version Jul» est enfin sortie en librairie ce mercredi 18 juin. Pourtant commandé il y a quatre ans par l’ancien ministre de l’Education Jean-Michel Blanquer, en partenariat avec les éditions des Musées nationaux, le projet avait été annulé mi-mars, juste avant impression. La directrice générale de l’enseignement scolaire jugeait le livre inadapté à son public. Un cas récent de censure d’Etat révélateur d’un climat préoccupant : un rapport du Sénat du 6 novembre dernier classait ainsi en «alerte majeure» le volet «création» de la LCAP (loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine), votée en 2016.
C’est dans un contexte de recrudescence d’affaires du genre (en 2000 déjà, la manifestation d’art contemporain «Présumés innocents» avait été attaquée en justice pour atteinte à la dignité de l’enfant et pornographie) qu’avait été créé en 2002 l’Observatoire de la liberté de création, d’abord sous l’égide de la Ligue des droits de l’Homme et constitué en association en 2024.
Sa présidente Agnès Tricoire témoigne aujourd’hui d’une «multiplication de demande de déprogrammation, de pression sur des organisateurs de spectacles vivants ou contemporains, des expositions ou des parutions littéraires.» Le Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles (Syndeac) notait lui aussi récemment auprès de Libération des avertissements trop peu suivis de sanctions et «des professionnels qui alertent ou portent plainte qui font les frais de leur courage et sont abandonnés à leur sort».
Car aucun art n’est épargné. Le théâtre, spectacle dit «vivant», qui engage le corps et la voix de l’acteur, est directement exposé, mais nombre d’expositions sont aussi visées. Et la littérature peut être ciblée différemment : à travers les bibliothèques par exemple. «Des associations comme Parents Vigilants [réseau de parents d’élèves créé par le parti «Reconquête !», NDLR] interviennent de plus en plus dans les écoles sur ces questions culturelles, et ce qu’elles jugent acceptable ou non de montrer aux enfants, pointe Agnès Tricoire. Quand l’extrême droite est élue dans une commune, il n’est pas rare qu’elle s’occupe de contrôler le contenu de ces bibliothèques.»
Le climat politique demeure un facteur déterminant. «Cette résurgence des formes de censure est notamment due à un agenda populiste qui tend à s’imposer dans certaines collectivités, avec la tentation d’aller chercher des voix à l’extrême droite ou le souhait de ménager des alliances électorales», pointe Emmanuel Wallon, professeur émérite de sociologie politique à l’université Paris Nanterre, qui s’intéresse aux rapports entre arts et pouvoir. Certaines mobilisations visant à interdire une forme artistique peuvent aussi...
Lire la suite sur liberation.fr