
Un collectif d’artistes féministes dont la directrice artistique du Festival d’automne, Francesca Corona, raconte à travers plusieurs images leur claustrophobie depuis l’arrivée de l’extrême droite en Italie. Et leur volonté de résistance.
Comment s’instaure un climat fasciste ? Que se passe-t-il juste avant ? Et juste après ? Qu’est-ce qui, lentement, ronge, l’horizon tout entier ? Nous sommes des femmes italiennes et nous observons tout cela depuis notre point de vue situé, incarné : celui de féministes qui vivent et travaillent dans le monde des arts et de la culture.
Nous voulons parler de l’impuissance, qui est une sensation qui se répand partout. Qui frôle parfois la dépression. Ce sentiment d’être incapable, de ne pas être à la hauteur : ni comme activiste, ni comme artiste, ni comme amie. Le fascisme, c’est aussi ça : la claustrophobie. Dans le domaine de la création contemporaine en Italie, nous avons toujours été habituées à couper, à recoudre, à amender, – à faire beaucoup avec peu. Nous habitons et travaillons dans des maisons déjà dévalisées. Et pourtant, l’extrême droite produit bel et bien une différence.
Pour écrire ce texte, nous avons commencé à énumérer des scènes qui nous ont marquées, frappées physiquement. Des détails desquels émerge l’effroi.
Rome, 6 avril 2023, six mois après la victoire électorale de Georgia Meloni. Des états généraux de la culture sont organisés par le gouvernement. Le titre : «Penser l’imaginaire italien». Le mot «national» revient d’ailleurs à plusieurs reprises dans les titres des slides. Nombre de rapporteurs : 69. Parmi eux, 65 hommes. Dans les associations présentes : la Vérité ; le Témoin ; le Futur de la nation ; Culture identitaire ; Esprit de l’unification ; la Voix du patriote.
Un instantané colonial
Albanie, octobre 2024. Première image : un bateau militaire rempli d’une centaine de membres de la marine et des forces de l’ordre, mobilisés pour transporter seulement 16 personnes migrantes interceptées en mer, fait cap vers l’Albanie, ancienne colonie de l’Italie fasciste. Pour nous, qui avons les pieds plongés dans la Méditerranée remplie de morts, c’est un instantané colonial. Deuxième image : un centre de détention, entièrement vide. Meloni crie : «Les centres en Albanie fonctionneront, quitte à y passer chaque nuit jusqu’à la fin de mon mandat !»
31 octobre 2022, une semaine après son arrivée au pouvoir, Meloni adopte un décret anti-rave party, criminalisant les rassemblements jugés dangereux pour l’ordre public, une attaque directe contre le fait de se rassembler, de se réunir, de danser. Ce n’était malheureusement qu’un début. Un nouveau décret sécurité a été voté le 5 juin, limitant la liberté de manifester, étendant la répression au dissensus et à la résistance passive, dans la rue comme en prison. Alors que nous écrivons ces lignes, des ouvriers en grève à Bologne bloquent quelques mètres de route : ils risquent jusqu’à deux ans de prison.
Août 2024. Sur un abribus à Milan, une affiche du Festival Jan Fabre avec pour sous-titre «L’amour et la beauté comme pouvoirs suprêmes» avec six spectacles de l’artiste programmé. Depuis qu’il a été condamné en avril 2022, à dix-huit mois de prison avec sursis pour agression sexuelle et...
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