
De David Lisnard à Christelle Morançais, de plus en plus de politiques assument la suppression des subventions d’associations culturelles. Le prétexte budgétaire dissimule-t-il un tournant idéologique ?
Les grands hommes sitôt tombés se voient prêter des tas de formules qui en jettent. Le dramaturge Jean Anouilh, mondialement célèbre pour Antigone, aurait dit de De Gaulle qu’il a « abandonné la culture à la gauche » comme « un os à ronger ». C’est le lot des légendes d’habiller les tombes de traits d’esprit. Vrai, faux, allez savoir, de toute façon aujourd’hui, l’os s’effrite. Depuis deux ou trois ans, les progressistes grimacent et s’inquiètent. Ils accusent la droite de le rogner pour dissimuler leur hostilité contre une vision du monde, la leur.
Le 20 mai dernier, Thomas Jolly et Thierry Reboul, respectivement directeur artistique et directeur exécutif de Paris 2024, ont publié un communiqué annonçant qu’ils rendaient les armes : le spectacle 14.7, à Rouen, « ne sera finalement pas lancé cette année ». Onze millions d’euros – dont cinq ponctionnés sur les deniers publics – pour un son et lumière d’une heure et demie à l’occasion du 14 Juillet ? L’opposition, membres d’Horizons comme des Verts, a décrété que ça ne valait pas le coup. Ils y ont vu une gifle donnée aux contribuables qui peinent à boucler leurs fins de mois. Foutaises, a répliqué Thomas Jolly. On en voudrait à l’homme de la cérémonie d’ouverture des JO, critiquée par des Français plus souvent branchés sur CNews qu’amateurs du « Masque et la plume », sur France Inter. Il dénonce « un discours de haine, bien loin de toute considération budgétaire ».
Dans la même veine, Laurent Wauquiez s’est vu reprocher par un opposant de « se servir de la culture » pour « raconter une histoire identitaire ». « Tant pis s’il y a des perdants », a répondu le président d’Auvergne-Rhône-Alpes, où les perdants sont nombreux : il a supprimé 4 millions d’euros à 140 structures culturelles, principalement localisées dans les villes dirigées, comme par hasard, par des écolos, comme Grenoble ou Lyon, dénoncent ses adversaires.
Le débat est ouvert
Christelle Morançais, elle, a reçu un « Javier Milei d’or » par Libération en décembre 2024. La présidente (Horizons) des Pays de la Loire a été représentée, en une, avec une tronçonneuse dans les mains et un titre qui fait peur : « Massacre à la création. » Le quotidien fondé par Jean-Paul Sartre a eu du mal à en croire ses oreilles quand il a entendu la numéro deux du parti d’Édouard Philippe, une femme politique qui ne colle donc pas aux valeurs lepénistes, annoncer un coup de rabot de 100 millions d’euros dans les subventions allouées par sa collectivité. D’après le journal, elle aurait suivi la mode lancée par le président argentin aux rouflaquettes, qui consiste à tailler à tout-va dans les dépenses publiques, à commencer par la Culture - le ministère est passé à la trappe. Le chef d’État libertarien conçoit la place d’un artiste dans la société de la sorte : « Si vous avez besoin de subventions pour faire de l’art, vous n’êtes plus un artiste, mais un fonctionnaire. »
Ces épisodes ont ouvert un débat. « Quand les peuples se droitisent, l’argent public peut-il encore être monopolisé par des œuvres de gauche ? », se questionne Le Monde. Le quotidien du soir évoque « la bascule des années 1980-1990 », quand Jack Lang a signé des dizaines des conventions avec des villes, des départements et des régions, pour faire vivre théâtre, musées, festivals. « Le consensus a donné l’illusion que la création n’était pas guidée par l’idéologie et profitait à tous. » Contacté, l’ancien ministre de la Culture hésite à nous raccrocher au nez. Comment ça, guidé par ses opinions ? « C’est totalement faux ! », s’agace-t-il, avant d’argumenter. En son temps, il s’est battu avec Jean Tiberi, qui désirait détruire la piscine Molitor, à Paris, et avec le maire de Reims de l’époque, de gauche, dont l’objectif était de supprimer le marché historique de la ville du baptême de Clovis.
"Les associations qui ont vu dans mon choix d’arrêter de les subventionner une décision politique estimaient que ce n’était pas le cas quand je les soutenais."
Christelle Morançais, présidente (Horizons) des Pays
Pour Morançais, le problème se pose plutôt dans ces termes : quand « la France est ruinée », pourquoi l’art serait intouchable ? La une de Libé l’a irritée plus qu’elle ne l’a amusée, car son attaque contre la « création » n’en est pas une, argue-t-elle au Figaro. Comme ses homologues à la tête de collectivités locales, elle cherche à faire des économies partout. Les associations culturelles en pâtissent, oui, d’accord, mais elles ne seront pas les seules à devoir se serrer la ceinture. La preuve, sa région a coupé les subventions des syndicats agricoles et personne n’a poussé de cris d’orfraie pour voler au secours de la FNSEA. « Il n’y a pas d’arrière-pensées politiques derrière cette décision. Si je veux protéger nos lycées, par exemple, je suis obligée de couper dans d’autres dépenses. » La polémique déclenchée par cette cure d’amaigrissement lui a donné l’impression que les troupes de théâtre, les festivals et les associations culturelles en tout genre s’accrochent à l’idée que l’État leur doit un chèque jusqu’à la tombe, comme si leur talent méritait un salaire à perpétuité. « Les associations qui ont vu dans mon choix d’arrêter de les subventionner une décision politique estimaient que ce n’était pas le cas quand je les soutenais. » Selon le milieu associatif, les rémunérer serait un geste innocent mais cesser de les subventionner devient suspect.
Une «culture protégée de toute influence politique»
L’art coûte cher, le pays compte ses sous, alors doit-on en plus payer ceux qui nous insultent ?, se demande la droite. Le président américain a un avis sur la question. Lassé par Hollywood, où les trumpistes ne courent pas les rues, il a déclaré, le 4 mai 2025 sur son réseau Truth Social : « NOUS VOULONS DES FILMS MADE IN AMERICA », assurant imposer prochainement des droits de douane de 100 % sur les films produits à l’étranger et pour limiter l’entrée sur le territoire d’œuvres de « propagande ». Et où commence la « propagande » ? Selon quels critères ?
Christelle Morançais assure défendre une « culture protégée de toute influence politique », milite pour que l’art ne se réduise pas à des œuvres mollassonnes tout en refusant une culture « élitiste ou de propagande », ce qui signifie dans son esprit qu’une « pièce de théâtre interdite aux hommes blancs hétérosexuels » a le droit de cité, mais pas avec le portefeuille de la cité. Le spectacle doit trouver de l’argent autrement, auprès de mécènes privés et riches, si possible. À gauche, on répond à cet argument que Léonard de Vinci était soutenu par François Ier. Nicolas Matyjasik, directeur général de l’association Suivez la flèche, en charge de la reconstruction de la flèche de la basilique de Saint-Denis, se méfie de l’émergence d’une « cancel culture » de droite. « On peut voir ces démarches comme une forme de “contre-mouvement”, voire de revanche, face à ce que les élus de droite perçoivent comme une hégémonie culturelle de gauche et, plus récemment, à l’effet de balancier provoqué par les débats sur la cancel culture. Mais avec une nuance de taille : ce n’est pas seulement une réaction à la “cancel culture”, c’est aussi une volonté stratégique de reconquête culturelle, sur le long terme. » Pour le politologue de formation, passé par l’équipe de campagne de Benoît Hamon, « là où la “cancel culture”, dans sa version caricaturale, s’appuyait sur...
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