
Sociologue et maître de conférence à l'Université de Picardie-Jules Verne, Fabrice Raffin analyse les effets des coupes budgétaires sur les politiques culturelles. Il met en lumière quatre familles d'acteurs, auxquelles il ajoute celle des élus, auteur d'une « grammaire politique nouvelle ». La concurrence et la hiérarchisation qui en découlent fissurent le front unitaire des acteurs culturels.
Depuis un an, les coupes budgétaires annoncées par l’État et les collectivités bouleversent l’écosystème culturel français. Modérées en volume mais majeures dans leurs effets, elles déstabilisent un équilibre historiquement fondé sur des soutiens croisés (État, régions, départements, villes). Surtout, elles ravivent d’anciennes lignes de fracture entre les acteurs de la culture inégalement dotés, renvoient à des conceptions différentes de la culture, et interrogent plus largement la pertinence du modèle français d’action culturelle fondé sur l’intervention publique.
Si les premiers mois ont vu fleurir des appels à l’unité du secteur pour défendre le service public culturel, les tensions internes n’ont pas tardé à apparaître. Deux textes en particulier sont révélateurs des fissures de l’unité : la lettre du Syndicat des Cirques et Compagnies de Création (SCC), le 8 février 2025, rejetant la « Charte de bonnes pratiques professionnelles entre lieux et équipes artistiques » proposée par le Syndeac (Syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, qui regroupe plus de 400 structures labellisées), et la lettre ouverte du collectif MCAC (Mobilisation et Coopération Arts et Culture) adressée à Rachida Dati le 21 mai 2025. Derrière une façade d’unité, ces deux lettres témoignent de conceptions divergentes de la culture, de sa diffusion et de la production artistique.
Quatre grandes familles de professionnels face à la crise
La crise actuelle révèle ainsi la coexistence, au sein du monde de la culture subventionnée, de quatre grandes familles d’acteurs, aux logiques différentes.
Un premier type d’acteur recouvre les structures les plus historiquement installées : théâtres et centres dramatiques nationaux, opéras, musées, conservatoires. Elles concentrent plus de 75 % des crédits d’intervention du ministère de la Culture affectés au spectacle vivant (DEPS, 2023) et bénéficient de subventions stables et pluriannuelles. Elles disposent également d’un personnel permanent (direction, technique, administration), et elles structurent l’agenda culturel national. Mais leur centralité symbolique et économique est aujourd’hui questionnée : ces structures restent souvent centrées sur une offre culturelle relevant des Beaux-Arts, de la création contemporaine, du patrimoine artistique. Acteurs de la culture légitime, inscrites dans une logique de démocratisation culturelles, elles apparaissent éloignées des pratiques et des attentes de la population.
Les compagnies indépendantes et collectifs artistiques constituent un deuxième groupe d’acteurs qui apparaît de plus en plus dépendant du premier. Ils sont essentiellement financés sur projets, via appels à candidatures, aides à la création limités dans le temps. Ces équipes sont au cœur de la création contemporaine, mais subissent de plein fouet les logiques de sous-traitance qui les assignent à un rôle d’exécutants, contraints de s’adapter aux conditions imposées par les institutions détentrices des lieux et des moyens. Près de 80 % des compagnies n’ont aucun lieu de diffusion en propre, ce qui les oblige à négocier en permanence avec les institutions pour diffuser leur travail. C’est cette situation que dénonçait le SCC dans son rejet de la « Charte de bonnes pratiques professionnelles entre lieux et équipes artistiques » proposée par le Syndeac, estimant que le texte renforçait cette logique de sous-traitance.
Le tiers secteur culturel regroupe, lui, les initiatives culturelles locales citoyennes, souvent portées par des associations, des tiers-lieux, des collectifs d’habitants. Ces acteurs incarnent une vision de la culture centrée sur l’animation des territoires, les droits culturels, et la construction de l’offre avec les habitants. Loin des canons de la culture classique des grandes institutions, elles apparaissent bien plus en phase avec les pratiques culturelles réelles des Français et les dynamiques locales. Si la logique artistique peut irriguer ces initiatives, elles sont avant tout orientées vers l’animation, l’évènementiel, l’expression et la créativité. Les coupes budgétaires fragilisent en priorité ces structures, car elles dépendent le plus des financements croisés et ne disposent pas de réserves. Le collectif MCAC met ainsi en avant dans sa lettre de mai à la ministre de la Culture, que près d’une...
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