Jean-Baptiste Andrea s’est fait une spécialité des séances de dédicaces partout dans l’Hexagone. Une activité essentielle pour l’économie des librairies et la notoriété des œuvres, mais non rémunérée, alors que les auteurs restent, dans l’ensemble, mal payés.
Personne ne le soupçonne, mais le lauréat 2023 du prix Goncourt avec Veiller sur elle (L’Iconoclaste), Jean-Baptiste Andrea, mène depuis trois ou quatre mois une vie très comparable à celle d’un représentant de commerce sillonnant inlassablement les villes françaises. Chaque soir, Jean-Baptiste Andrea se produit dans un lieu différent, se plie d’abord à un jeu de questions-réponses d’une heure avec le libraire qui l’invite, avant de procéder à des dédicaces en chaîne de son dernier ouvrage. Puis il dîne avec l’équipe de la librairie, dort dans un hôtel et repart le lendemain.
Au bout de la centième rencontre pour Veiller sur elle, l’auteur – qui a vendu plus de 487 000 exemplaires depuis sa sortie, le 17 août, selon l’institut GfK – a bel et bien rodé son discours. Dans son tour de France, les 24 et 25 janvier, cet ancien scénariste et réalisateur reconverti enchaîne ses prestations à Bergerac (Dordogne) puis à Bordeaux. Le premier soir, plus d’une centaine de personnes sont sagement assises dans la Librairie Montaigne. Le lendemain, une assistance presque aussi fournie remplit le cinéma Utopia, où le reçoivent deux libraires du Passeur. Un public à chaque fois largement féminin, presque toujours âgé de plus 60 ans. Les questions fusent, la plupart du temps de façon assez attendue, sur le processus de création, le choix du lieu du roman et de sa temporalité. On l’interroge sur son héroïne, Viola, ou sur le sculpteur nain, Mimo… Jean-Baptiste Andrea répond avec ce qu’il faut d’esprit et d’humour pour conquérir son public.
A Bergerac, un retraité l’a quasiment béni : « Que le Très Haut inspire votre main », lui a-t-il glissé quand l’auteur lui dédicaçait son livre. Des petits mots chaleureux qui récompensent son stakhanovisme. Jean-Baptiste Andrea, qui signe son quatrième roman, a toujours accordé beaucoup d’attention aux libraires. En juillet 2023, précise son attachée de presse, Marie-Laure Walckenaer, soixante-dix librairies étaient déjà sur liste d’attente.
« On a refusé du monde »
Un petit club de fidèles le suit depuis la première heure. Rémy Boulier, libraire à Au Temps Lire, à Lambersart (Nord), en fait partie. « On a refusé du monde, cette année on a tout explosé », dit-il. A Draguignan (Var), le Prix Goncourt 2023 était même parrain de la librairie Papiers Collés. A Cannes (Alpes-Maritimes), aussi, Florence Kammermann (Autour d’un livre) s’amuse de lui avoir promis bien avant tous les autres : « Tu auras le Goncourt ! » Et continue d’écluser Veiller sur elle comme des petits pains : 600 exemplaires depuis sa sortie.
Le public qui vient à ces rencontres ne le sait généralement pas, mais les auteurs qui effectuent des signatures en librairie ne sont pas rémunérés. Ils touchent, certes, le pourcentage qu’ils ont négocié avec leur éditeur sur la vente des livres, qui s’échelonne de 8 % à parfois 12 %, voire exceptionnellement 15 % du prix hors taxe du livre, selon leur notoriété. Les frais de transport, d’hôtel et de restaurant sont payés par l’éditeur et le libraire. « Si on était obligés de les payer, il n’y aurait plus de signatures », disent tous ces commerçants.
En ouvrant sa librairie Les Yeux qui pétillent, à Valenciennes (Nord), Céline Dereims trouvait ce procédé injuste. Aussi recourt-elle aux subventions accordées par la région et tente de trouver des partenaires pour organiser des lectures musicales et financer les artistes. De façon assez exceptionnelle et sans qu’aucun cadre législatif ne soit fixé, les auteurs de BD et de livres pour enfants sont parfois rétribués par les libraires pour les dédicaces.
« Bouche-à-oreille essentiel »
Les signatures, ces campagnes de marketing et de promotion souhaitées par les éditeurs pour écouler davantage de livres et mieux faire connaître leurs auteurs, se révèlent très chronophages. Un bon nombre d’écrivains s’y refusent de façon catégorique, en jugeant que tout ce temps serait mieux mis à profit s’il était consacré à écrire un autre ouvrage. Mais beaucoup s’y soumettent, au moins de façon parcimonieuse.
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