ENQUÊTE - Moins sensibles à l’inflation, plus professionnels... Les festivals ruraux ont de plus en plus la cote auprès des artistes et du public.
Ils seraient 250 en France… Soit 46 % des festivals de musique classique de notre pays. Selon la dernière étude du réseau France Festivals, parue le mois dernier et portant spécifiquement sur la question des ruralités, le tissu festivalier de l’Hexagone en dehors des grandes villes connaît depuis dix ans une expansion significative. Au détriment des centres urbains de forte densité. «Dans ces derniers, seuls 44 % des festivals ont été créés au cours de la dernière décennie. C’est 55 % dans ce que l’on appelle “le rural à habitat très dispersé”», fait valoir Emmanuel Négrier, l’un des quatre chercheurs qui a travaillé sur l’étude.
Effet de mode ou lame de fond? «La ruralité est une valeur réévaluée depuis le Covid-19. Ce que confirme la récente mobilisation du monde agricole, largement soutenue par la population», concède le directeur de recherche au CNRS. Mais au-delà de cette nostalgie rurale positive, de nombreux autres facteurs expliqueraient le retour de cet engouement pour les festivals ruraux.À commencer par des facteurs économiques. «Alors qu’on aurait pu s’attendre, dans un contexte où les finances départementales sont malmenées, à une fragilisation des festivals en bourg rural ou en zone à habitat dispersé, voire très dispersé, cela semble moins le cas que dans les zones urbaines», s’étonne-t-il. La faute à la plus grande dépendance des manifestations citadines aux équipements culturels de la ville, et donc aux frais inflationnistes qui leur incombent. «En zone rurale, nécessité fait loi. La sobriété énergétique, comme économique, y a été érigée en modèle.» Même chose en ce qui concerne les enjeux sécuritaires, priorité des grandes villes depuis les vagues d’attentats terroristes qui frappent le pays depuis dix ans, et constituent pour les festivals en zone urbaine une charge supplémentaire.
Il serait exagéré pour autant de parler de santé éclatante des festivals ruraux. «À bien des égards, ces manifestations, que l’on continue souvent de qualifier à tort de petits festivals alors que certaines sont installées depuis près d’un siècle, sont devenues de véritables institutions dans leur domaine (comme le Festival de la Grange de Meslay, en Indre-et-Loire, qui s’ouvre dans quelques jours, NDLR). Mais elles restent fragiles, tempère le chercheur. Ne serait-ce que parce que les grands fonds de sponsoring et de mécénat vont surtout vers des festivals à caractère urbain et massif.»
Néanmoins, ces dernières sont plus perméables à d’autres types de financement désintéressé, allant du bénévolat, proportionnellement plus présent en milieu rural, aux apports en nature, qui leur assure une souplesse et par conséquent une durabilité qu’on ne retrouve pas partout. «Lorsque l’agriculteur de la ferme voisine prête son tracteur pour acheminer les pianos ou participer au montage de la scène, c’est aussi une forme de mécénat», lance-t-il.
Expertise croissante
Ce que confirme René Martin. Le directeur artistique du Festival de la Grange de Meslay, fondé par Sviatoslav Richter il y a soixante ans, l’assure: «Les bénévoles sont primordiaux à la Grange. Tant pour l’organisation que dans le maintien de son esprit et de son identité. Ce sont les voisins, les gens du coin. Ce sont eux qui accueillent le public et les artistes. Comme, symboliquement, cette campagne tourangelle tellement inspirante, devant laquelle Richter pouvait passer des heures à contempler un coucher de soleil, nous accueille.» Et contrairement aux idées reçues, ce bénévolat va de pair avec une professionnalisation et une expertise croissante. «On a de plus en plus affaire, en milieu rural, à des festivals d’artistes», concède Emmanuel Négrier.
Illustration à Froville, en Meurthe-et-Moselle, où le chef et ténor Emiliano Gonzalez Toro vient de reprendre le festival de musique baroque de cette commune de 122 habitants! Le fondateur de l’ensemble I Gemelli, avec lequel il tourne dans les plus grandes salles d’Europe, l’avoue: «Prendre part à la direction artistique d’un festival est quelque chose qui trotte dans la tête de plus en plus de jeunes musiciens, en France. La crise sanitaire a montré à quel point faire partie d’un écosystème était important pour les artistes classiques d’aujourd’hui, et la direction de festivals, comme la création d’ensembles ou de labels d’artistes, en fait partie.» Le chef prévient néanmoins: «Un festival comme Froville reste porté par ses bénévoles, qui sont tous des passionnés de baroque. Cela engage à respecter l’esprit familial et passionné de l’événement, tout en y cherchant le plus haut degré d’attente artistique.»
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