Sur les traces de Jamel Debbouze, des jeunes humoristes tentent leur chance sur les scènes de stand-up qui ont récemment ouvert à Paris.
« Nous sommes désormais 8 milliards d’êtres humains sur Terre… Franchement, je suis un peu déçu par le Covid. » Dès sa première punchline sur la petite scène parisienne du Joke, Jarnal déclenche les rires du public. En ce soir de décembre, cet ex-ingénieur agronome de 30 ans, qui s’est reconverti dans le stand-up, fait partie des sept humoristes se succédant au micro du dernier-né des comedy clubs.
En l’espace de trois ans, quatre nouveaux établissements ont ouvert leurs portes à Paris. A l’historique Jamel Comedy Club et au très implanté Le Paname sont venus se greffer Le Barbès Comedy Club, Madame Sarfati, The Fridge et The Joke, respectivement créés sous l’impulsion des humoristes Shirley Souagnon, Fary, Kev Adams et Baptiste Lecaplain. A ces nouvelles scènes au décor soigné, il faut encore ajouter les multiples plateaux hebdomadaires proposés dans quelques bars ou restaurants de la capitale.
Un peu comme à New York, les stand-upeurs – du débutant qui tente sa chance au plus confirmé qui rode ses nouvelles idées – peuvent enchaîner les plateaux pour tester leurs blagues. Nous avons fait le tour de ces lieux, vu défiler des dizaines d’humoristes et constaté l’engouement du public pour cette forme de zapping du rire. Ce fut comme une plongée, en version réelle, dans la série Drôle, de Fanny Herrero, diffusée en début d’année sur Netflix.
La France n’a sans doute jamais compté autant d’aspirants au stand-up. C’est impressionnant de voir cette ribambelle de jeunes, issus de toutes origines et de toutes catégories sociales, prêts à monter sur scène et à saisir le micro.
Ils évoquent la difficulté de parvenir à l’acceptation de soi, racontent, avec plus au moins de bonheur, leur vécu personnel et leurs névroses, rebondissent parfois sur des sujets d’actualité (Covid-19, Zemmour, Hanouna, pouvoir d’achat, etc.), s’emparent plus souvent de thématiques dans l’air du temps, observent leurs semblables, l’absurdité de certains comportements, et, en creux, livrent leur regard sur la société. « J’ai l’impression d’avoir des centaines de collègues de travail », reconnaît Jarnal.
Dans ces salles de 50 à 100 places, pour des tarifs variant de 15 à 28 euros, les séances s’enchaînent du mardi au dimanche, dès l’après-midi et jusqu’à minuit, le week-end. Des « usines » à rire qui ne désemplissent pas. Réserver est devenu fortement conseillé. Parisien ou provincial, le public, majoritairement des actifs de moins de 35 ans, vient en bande d’amis ou en couple pour rire en buvant un verre dans une atmosphère plutôt bon enfant grâce à la proximité avec les artistes. « La salle est bien blanche, on se croirait à un séminaire ! », constate un humoriste du Paname. Lors de notre tournée, c’est au Jamel Comedy Club – lieu précurseur, ouvert depuis 2006, où Blanche Gardin, Fabrice Eboué, Haroun, Waly Dia, Thomas Ngijol, etc., ont fait leurs premiers pas – qu’on a croisé le public le plus cosmopolite.
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Quel que soit l’établissement, les plateaux d’environ une heure se déroulent tous sur le même schéma. Un maître de cérémonie chauffe le public – « Bonsoir, est-ce que ça va ? Faites un maximum de bruit » –, explique le concept d’interaction et demande : « Qui vient pour la première fois voir du stand-up ? » Très souvent, la moitié des spectateurs lève la main. Puis cinq à sept stand-upeurs se relayent au micro et tentent, en sept à dix minutes, de déclencher le rire de l’auditoire. Le niveau est inégal et la comparaison cruelle. A chaque séance, un, parfois deux humoristes sortent du lot et restent en mémoire. Tandis que le souvenir des autres s’évapore dès la sortie de la salle.
« C’est ici que les blagues naissent ou meurent », résume Louis Dubourg. Depuis six ans, ce Berrichon de 33 ans sillonne les plateaux des comedy clubs. A raison d’au moins une dizaine de passages par semaine, il gagne sa vie grâce à ses blagues, sans avoir encore de spectacle à part entière. « Je fantasmais cette vie. Avant, soit on galérait, soit on explosait. Maintenant, on peut être un humoriste anonyme et faire de la scène tous les soirs. Etre “working comedian”, c’est génial. » La multiplication des lieux et l’évolution des rémunérations, qui ne sont plus uniquement au chapeau mais parfois au cachet (environ 70 euros par passage), permettent à de plus en plus de stand-upeurs de vivre de leurs prestations en comedy club.
« Au départ, c’est très dur, on joue parfois sans être payé », nuance Umut Koker, qui tourne depuis cinq ans dans ces lieux. Ce stand-upeur français, d’origine turque kurde, diplômé d’un...
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