ENQUÊTE - Alors qu'internet représente un livre d'occasion acheté sur deux, l’on assiste à une «quasi-industrialisation du marché». Au détriment des éditeurs et des auteurs, qui ne perçoivent aucun revenu issu de ces ventes.
L'extension du domaine de la vente aura-t-elle raison du marché ? À parcourir les pages de différents sites de revente entre particuliers, s'interroger sur l'avenir de l'édition n'a rien d'incongru. Poussière blonde (Albin Michel, 7 février 2024), de Tatiana de Rosnay, mis au prix de 12€, contre 21,90€ en librairie ; D'or et de jungle (Calmann-Lévy, 7 février 2024) de Jean-Christophe Rufin, à 10€ plutôt que 22,5€ ; idem pour La nef des fous (Bouquins, 7 mars 2024) de Michel Onfray, initialement à 20€… Sur Leboncoin.fr, troisième domaine le plus consulté en France, pas moins de 7 millions d'annonces de livres à prix cassés sont référencées, entre autres offres immobilières, vestimentaires ou encore d'ameublement. Parmi elles, de nombreuses publications certifiées «état neuf» fleurissent quelques jours seulement après parution. Un paiement en ligne suivi d'un service de livraison, ou bien une remise en main propre, et voici que les bibliothèques grossissent à moindres frais. Si, comme le prône le slogan du site, ainsi va «le bon pour tous», qu'en est-il du modèle économique d'un secteur de plus en plus fragilisé par ce segment de marché ?
Le monde change et les habitudes avec. Longtemps, l'image du livre d'occasion s'est cantonnée à celle d'anciens ouvrages soldés par les bouquinistes des quais de Seine, les magasins spécialisés, ainsi qu'aux volumes ôtés de leur carton une fois par an à l'occasion de braderies diverses. Hormis quelques chineurs confirmés, les lecteurs ne s'en remettaient qu'au hasard afin de trouver la perle rare. Faisant de la seconde main un réseau parallèle marginal. Aujourd'hui pourtant, un livre acheté sur cinq est acquis d'occasion. Ce qui, comme le révèle une étude inédite de la Société française des intérêts des auteurs de l'écrit (Sofia) et du ministère de la Culture, dont les premiers résultats ont été dévoilés en avril dernier, représente 9% de la valeur du marché de l'édition. Soit près de 350 millions d'euros. Des chiffres qui alertent le monde des lettres.
«La revente de livres est une pratique qui a toujours préoccupé les éditeurs, confie au Figaro Sophie de Closets, directrice générale du groupe Flammarion. Mais ce marché a toujours été de bon aloi dans la mesure où, par ses proportions et ses modalités, jamais il n'a remis en cause l'écosystème de l'édition. Avec le développement des plateformes en ligne - Amazon, Fnac, Vinted, eBay… -, on observe un changement de paradigme : plutôt que d'acheter moins de livres neufs ou d'attendre une sortie en format poche, les personnes s'orientent vers l'occasion. Elles y sont même incitées avec la possibilité d'être alertées d'une disponibilité. En fin de compte, 20% des ventes - en volume - sont déroutées. C'est un manque à gagner de plus en plus important qui pèse sur le milieu.»
Déplacement et accélération
En 2022, internet équivaut à un livre d'occasion acheté sur deux. Et 60% des acheteurs d'occasion le citent comme principal canal d'approvisionnement. Ainsi que l'explique Geoffroy Pelletier, directeur de la Sofia, «cette bascule sur le web a provoqué une quasi-industrialisation du marché, avec des outils de plus en plus performants tels que des comparateurs en ligne, qui informent sur le prix et l'état des livres de seconde main disponibles sur les plateformes.» De même que le numérique a contribué à la métamorphose du modèle commercial BtoC (de l'entreprise au consommateur), il a transformé en profondeur le modèle CtoC (entre consommateurs). Résultat : le marché en question se déplace et s'accélère. Notons que 4% des offres correspondent à des publications datant de moins d'un an et 18% à d'autres entre 1 et 5 ans. Alors que celui-ci échappait jusqu'alors à la chaîne de l'édition traditionnelle, il se soustrait désormais à la chaîne du livre tout court.
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