Alors que des professionnels lancent une journée d’appel à des états généraux du cinéma, jeudi 6 octobre, la politique culturelle sur le sujet demeure aussi introuvable que problématique.
La journée de mobilisation du cinéma indépendant, inquiet de sa survie, jeudi 6 octobre, serait-elle une initiative d’enfants gâtés ? En apparence, le monde de la culture n’aurait guère de raison de se plaindre. D’abord parce que la culture fait partie des ministères choyés par le budget 2023, avec une hausse de 7 % qui porte l’augmentation totale des subsides de la Rue de Valois à plus de 22 % depuis l’arrivée à l’Élysée d’Emmanuel Macron en 2017, pour atteindre un total record de 4,22 milliards d’euros, hors audiovisuel public.
Ensuite parce que le ministère de la culture a désormais à sa tête, avec Rima Abdul-Malak, une personne dynamique et cultivée qui ne risque guère d’affirmer, comme sa prédécesseure Roselyne Bachelot, que « les films de Jean-Luc Godard ont toujours suscité chez moi un profond ennui », lorsque disparaît une des voix les plus tranchantes et transgressives du cinéma du XXe siècle.
Enfin parce que l’affirmation brandie récemment par Rosalie Brun, déléguée générale de la Société des réalisateurs de films (SRF), en pointe dans la mobilisation de jeudi, selon laquelle « la culture a été un peu oubliée pendant cette crise », semble difficile à valider.
Certes, comme l’a souligné un récent rapport du Conseil d’analyse économique, la culture a fait partie des secteurs les plus touchés par l’épidémie de Covid, avec le tourisme et l’aéronautique. Certes, les débats mal emmanchés sur la nature nécessaire ou secondaire des lieux culturels – alors que la culture n’est ni utile ni futile – ont pu donner un sentiment de mépris gouvernemental vis-à-vis des mondes artistiques.
Mais le domaine est pour autant loin d’avoir été laissé de côté, avec un engagement financier inégalé comparé aux autres pays européens, que le gouvernement chiffre, même si c’est en ratissant large, à 14 milliards d’euros d’aides exceptionnelles depuis le premier confinement de mars 2020.
Pourtant, le malaise dans la culture – et dans le cinéma plus spécifiquement – est aussi palpable que légitime. Parce qu’il s’inscrit dans une politique culturelle déficiente quand elle n’est pas destructrice. Et parce que les effets délétères de cette dernière sont redoublés dans le cas du cinéma, qui traverse un bouleversement profond de l’ensemble de son écosystème.
Baisse de fréquentation des salles
Le phénomène le plus important est la baisse de fréquentation des salles qui sont très loin d’avoir retrouvé leur taux de remplissage d’avant la pandémie. Aux États-Unis, le mois de septembre dernier a été le pire en termes de fréquentation depuis le milieu des années 1990, et Cineworld, le deuxième circuit de salles de cinéma au monde, a déposé le bilan à la rentrée.
En France, cette baisse a un effet encore plus immédiat et direct sur les films à venir, puisqu’elle affecte non seulement les exploitants et les distributeurs, mais aussi le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC), qui se finance principalement grâce à une taxe, instaurée en 1948, de 10,7 % sur chaque ticket d’entrée.
Le changement des pratiques est corrélé à l’activisme des Netflix ou Disney+, lequel a annoncé vouloir priver les salles de cinéma françaises du blockbuster de Noël en sortant ses productions directement sur sa plateforme Disney+, s’il n’obtenait pas gain de cause sur toutes ses prétentions, en particulier la remise en cause de la « chronologie des médias », qui prévoit des délais entre la sortie d’un film et sa disponibilité sur d’autres supports.
La mort du cinéma a été annoncée tellement de fois qu’on pourrait ne plus y croire. Dans Le cinéma est mort, vive le cinéma ! (Gallimard, 2021), l’historien et ancien directeur des Cahiers du cinéma Antoine de Baecque jugeait que l’angoisse de sa propre mort traverse en réalité depuis sa naissance le cinéma, et estimait que les crises endogènes et exogènes qu’il avait dû affronter constituaient autant de moments de revitalisation esthétique.
Pour lui, « on peut donc dire du cinéma qu’il n’est vivant que de penser sa mort prochaine, d’autant plus vivant qu’il pense sa mort avec la fièvre de l’agonisant. Sans doute est-ce pour cela que le septième art, peut-être parce qu’il s’estimait le plus grand, s’est toujours cru le plus éphémère ».
Cependant, postuler l’éternité du cinéma à partir des nombreux faire-part de décès qui ont émaillé son histoire sans être suivis d’effets serait présomptueux. Sans imaginer sa disparition définitive, il est tout à fait envisageable, même pour un grand pays du cinéma, de voir disparaître des pans entiers de la production nationale indépendante et la majorité des salles obscures, ainsi que l’exemple de l’Italie nous le rappelle.
Ce n’est certes pas la première fois que le cinéma connaît une baisse importante de fréquentation liée à des changements d’habitudes culturelles et à l’arrivée de nouveaux acteurs audiovisuels. Au milieu des années 1980, avec l’arrivée de Canal+ notamment, les salles françaises avaient ainsi déjà connu un passage à vide notable.
Mais la réponse politique n’avait alors pas tardé, avec la signature, en 1986, de différents accords renforçant l’exception culturelle française, avec notamment la mise en place de la chronologie des médias aujourd’hui remise en cause, ainsi que la mise à contribution de Canal+ au financement du cinéma français, également remise en question par son nouveau propriétaire, Vincent Bolloré.
L’initiative portée, jeudi 6 octobre, par un nombre important de professionnel·les du cinéma vise donc à...
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