Si le secteur donne l’impression de parité, la réalité est moins glorieuse. À l’occasion du festival Faits d’hiver, qui met en avant des chorégraphes femmes, enquête sur un milieu où sexisme et inégalités de genre demeurent.
La danse est-elle un des rares domaines qui échappe aux inégalités de genre ? Dans le spectacle vivant, elle est sûrement considérée comme l’art féminin par excellence. Les femmes y sont nombreuses, voire en écrasante majorité chez les amateurs (à de rares exceptions, comme le break). La danse contemporaine ne manque pas de chorégraphes femmes notables : Pina Bausch, Martha Graham, Isadora Duncan, Carolyn Carlson… Alors comment expliquer que, en 2024, sur dix-neuf centres chorégraphiques nationaux, seulement trois femmes en occupent la direction ? Malgré une illusion d’omniprésence féminine, le sexisme et les inégalités de genre persistent dans le milieu de la danse contemporaine française.
Hélène Marquié, chercheuse au département d’études de genre de l’université Paris-8 Vincennes-Saint-Denis, en a été la première surprise : « Au début de mes recherches sur le sujet en 2004, je pensais que tout allait bien, que les femmes étaient majoritaires… C’est un biais qu’ont mis en avant les sociologues : quand les femmes sont présentes à 40 % par exemple, on a l’impression qu’elles sont plus nombreuses. » Mais selon les travaux de l’universitaire, les femmes sont désavantagées dès la formation. Plus nombreuses à vouloir se professionnaliser, elles doivent davantage jouer des coudes que les hommes, car les places attribuées par genre sont souvent fixes. « Les garçons ont le loisir de commencer plus tard, alors que les filles débutent souvent dès 4 ou 5 ans, dit-elle. Pour eux on regarde la singularité, le parcours, le caractère, alors qu’on attend des filles des qualités plus communes, comme la mémoire ou l’excellence. »
Rebecca Journo, qui présente Les Amours de la pieuvre au festival Faits d’hiver, a constaté que cette exigence était décuplée lors de son parcours d’interprète : « C’est un milieu particulièrement compétitif pour les danseuses. On nous demande d’être impeccables techniquement, alors qu’on accepte davantage que les danseurs aient quelques lacunes. » Pour la trentenaire, créer a été un moyen de s’émanciper : « J’ai pu dépasser des rôles féminins clichés qu’on a pu m’imposer, même si chorégraphier est un travail bien plus exigeant. » Si les hommes et les femmes accèdent presque également à la création, le bât blesse lorsqu’il est question des financements.
Selon les études menées depuis presque vingt ans (dont la mission Égalités en 2006, ou plus récemment celle de l’Association des centres chorégraphiques nationaux), les femmes créent avec moins d’argent, des pièces moins ambitieuses, moins diffusées et sur de plus petites scènes. Hélène Marquié pointait qu’entre 2013 et 2018 la proportion de femmes chorégraphes subventionnées en France n’était jamais supérieure à 39 % et celle des hommes jamais inférieure à 46 %. Et l’écart se creuse lors du conventionnement (subvention accordée aux compagnies sur plusieurs années), où elles ne sont plus que 32 % et les hommes, 54 % (1). Des moyens diminués, qui freinent la pérennisation des compagnies comme l’ampleur des projets.
Danseuses, pas directrices
Ces disparités se retrouvent dans...
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