Depuis le déclenchement de la pandémie, la crise sanitaire qui a profondément bouleversé toute l’économie et les certitudes du septième art.
Qui a le cœur à faire le bilan du cinéma français en cette année 2020 ? Autant avaler cul sec une bouteille d’huile de ricin. Il est probable que ce soit la pire année de son histoire. Même durant les jours sombres de l’Occupation, même sous les fourches caudines de la franco-allemande Continental-Films ourdie par Joseph Goebbels, rien n’empêcha le septième art français de jouer sa partition ni même de connaître ce que d’aucuns nommèrent son « âge d’or ». Ce que le régime nazi, voulant jouer au plus fin, ne réussit pas à faire au cinéma français, le SARS-CoV-2 serait-il en train de l’accomplir ?
En égrenant les événements de cette année, on constate – comme souvent dans les grandes catastrophes – que des signes avant-coureurs s’étaient manifestés. Une fièvre avait ainsi précédé l’arrivée du Covid et de sa grande faux. Dès le 29 février, lors de la cérémonie des Césars, une violente implosion ébranle ainsi la famille du cinéma. Ejection du comité de direction et du président Alain Terzian, en place depuis 2003, lynchage plus ou moins feutré de Roman Polanski sur la scène, mais soutien dans les urnes puisqu’il obtient le Cesar de la meilleure réalisation avec J’accuse, départ tonitruant de l’actrice Adèle Haenel et de l’équipe de Portrait de la Jeune fille en feu en guise de protestation… Quelque chose, ici, semble durablement fêlé, conduisant l’académie à réformer en profondeur sa gouvernance devenue collégiale et paritaire sous l’égide de Véronique Cayla et d’Olivier Toledano, élus fin septembre présidente et vice-président de l’assemblée générale de l’Académie des Césars.
Quinze jours plus tard, le 15 mars, le confinement général sonne le glas des efforts pour maintenir l’activité des cinémas durant l’épidémie. Richard Patry, président de la Fédération nationale des cinémas français (FNCF), confie, dans ces colonnes, la « sidération » qui saisit alors les exploitants, lesquels, quelques heures plus tôt, négociaient encore avec le gouvernement. Toute la chaîne accuse le coup : réalisateurs stoppés dans leur élan, producteurs et distributeurs aux abois, intermittents précarisés, films sans débouchés, festivals annulés, sorties repoussées sine die… Toute une économie à l’arrêt, le spectre de la faillite à l’horizon. Les acteurs de la filière, estourbis, mais accrocheurs, n’en fourbissent pas moins leurs armes pour une réouverture espérée des salles.
Un cercle vicieux
Celle-ci survient le 22 juin. On craignait l’embouteillage des sorties, en vérité c’est un cercle vicieux qui se met en place. Le public craint les miasmes de l’enfermement et les distributeurs n’osent de ce fait engager des frais de sortie sur leurs films les plus porteurs. Etant donné la catastrophe sanitaire aux Etats-Unis, la manne des films américains s’absente, elle aussi. Comparée à la même période en 2019, la fréquentation a chuté de 73 % à la fin du mois d’août.
Quelques signes permettent toutefois d’espérer, malgré le désastre. Le public français féru de cinoche, qui continue de répondre présent à certaines sollicitations, faisant le succès de Tout simplement noir, de Jean-Pascal Zadi (700 000 entrées), d’Effacer l’historique, de Gustave Kervern et Benoît Delépine (300 000 spectateurs), ou d’Antoinette dans les Cévennes, de Caroline Vignal (plus de 750 000 entrées). Le gouvernement, qui débloque cent soixante-cinq millions d’euros d’aide pour le secteur. La Warner, enfin, qui – contrairement à son concurrent, Disney, avec Mulan, directement programmé sur Disney+ – joue la fidélité aux salles, en sortant, le 26 août, Tenet, blockbuster de Christopher Nolan attendu comme le Messie, qui attirera plus de 2 millions de spectateurs en salle.
En égrenant les événements de cette année, on constate – comme souvent dans les grandes catastrophes – que des signes avant-coureurs s’étaient manifestés
Hélas, insensible à cette éclaircie, le Covid-19 persiste et signe, conduisant à un couvre-feu qui supprime, le 14 octobre, les séances vitales du soir, rapidement relayé par un deuxième confinement, le 29 octobre. Son évolution, semble-t-il ralentie en un premier temps, conduit le président Macron à conditionner la réouverture des salles, pour le déconfinement du 15 décembre, à un plafond de 5 000 nouveaux cas par jour. L’épidémie reprenant de plus belle, il n’en sera rien. La date du 7 janvier 2021 est donc fixée pour reconsidérer cette situation, chaque jour qui passe depuis lors, avec un rebond épidémique qui affecte toute l’Europe, indiquant qu’elle ne pourra pas davantage être tenue. Le monde du cinéma, et plus largement celui de la culture, qui a travaillé d’arrache-pied pour être en ordre de marche au 15 décembre, est cette fois-ci non seulement accablé, mais furibard. On ne comprend pas que les commerces de grande capacité et les transports en commun, qui drainent des foules considérables dans des conditions sanitaires peu maîtrisées, restent ouverts, et les salles de cinéma fermées.
« Une atteinte grave aux libertés »
Une stratégie de confrontation est alors tentée, aussi bien du côté du cinéma que du spectacle vivant. Deux recours en référé-liberté sont ainsi déposés devant le Conseil d’Etat pour faire annuler cette décision. Examinés le lundi 21 décembre, ces recours sont rejetés deux jours plus tard, « en raison d’une situation nouvellement dégradée et incertaine ». Le juge des référés prend toutefois acte que cette fermeture constitue « une atteinte grave aux libertés » et que, « dans un contexte plus favorable, elle ne pourrait être maintenue au seul motif qu’il existe un risque de transmission du virus aux spectateurs, indépendamment du contexte sanitaire général ». Initiatrice de l’action pour les cinémas, la FNCF se réjouit qu’une part notable de ses arguments ait été entendue.
On en est donc là, avec autant de raisons de désespérer que d’espérer. Sur le premier plateau de la balance, on trouve un virus qui pète le feu, bat la campagne et commence à muter ; des signes inquiétants venus de certaines majors hollywoodiennes qui, à l’instar de Disney et de la Warner, tournant subitement casaque, prévoient de privilégier la diffusion de leurs films, en 2021, sur Internet, au détriment des salles ; le sentiment que le Covid-19 n’a fait qu’accélérer, au profit de plates-formes aujourd’hui florissantes, un processus mondial de désaffection pour la salle de cinéma qui existait dès avant son arrivée.
Sur le second plateau, on pioche l’arrivée...
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