Eprouvés par la crise sanitaire et la mise à l’arrêt du secteur culturel, ces travailleurs précaires souffrent de n’avoir aucune visibilité quant à la réouverture des salles.
Un confinement, suivi d’un couvre-feu, puis d’un reconfinement : depuis le mois de mars, le milieu du spectacle vit sous perfusion. Malgré l’année blanche décidée pour compenser les annulations de représentations et de festivals, et les fonds d’aide mis en place par le ministère de la culture, 2020 restera pour les 270 000 intermittents du spectacle, qu’ils soient artistes ou techniciens, une année sinistrée.
« Dans le spectacle vivant, il y a deux saisons : l’une de mars à juillet, l’autre de septembre à décembre. Mais cette année, tout s’est arrêté en mars. » Monteur et technicien plateau et vidéo, Arnaud Bouzeghaia sillonne depuis quinze ans les routes du Grand-Est. Mais pas cette année. Pandémie oblige, son agenda s’est considérablement allégé depuis le printemps. Pour cet intermittent du spectacle, le constat est amer : « L’année dernière, j’avais cumulé 600 heures de travail avant la rentrée. Cette année, c’est à peine le tiers ! » Musicienne de l’ensemble classique Trio Sora, Pauline Chesnais, pianiste, ne voit pas le bout du tunnel : entre les festivals, les récitals et les tournées à l’étranger, les annulations s’accumulent par dizaines. « Nous nous dédions entièrement au trio et notre vie professionnelle repose sur ces concerts, insiste-t-elle. C’est grâce à cela que nous sommes intermittentes. »
Programmation, report, annulation. Depuis sept mois, le schéma se répète inlassablement, plongeant le spectacle vivant dans l’incertitude. Fragmentée entre l’Elysée, Matignon et les ministères de la culture et de la santé, la réponse politique ne rassure pas les intermittents. « Lorsque la situation s’est dégradée, les mesures ont été annoncées au compte-gouttes. Sans compter qu’entre le gouvernement et les structures culturelles, on n’entendait pas le même discours », commente le tromboniste Jules Boittin.
Une année supplémentaire
Le 29 juillet 2020, le gouvernement décrète la prolongation de l’indemnisation des intermittents du spectacle jusqu’en août 2021. Ces derniers disposent d’une année supplémentaire pour effectuer leurs 507 heures nécessaires pour toucher des indemnités. Mais le dispositif en laisse beaucoup dubitatifs : « Nous n’avons pas fait de tournée en 2020 : qui programmera nos créations en 2021 et 2022 ?, s’interroge la dramaturge Claire Audhuy, de la compagnie Rodéo d’âme. Depuis le mois de mars, je n’ai joué qu’une seule fois, le premier soir du couvre-feu. C’était incroyable de voir autant de gens réunis pour échanger et partager. » Mais pour tous, l’annonce du reconfinement, le 30 octobre, tombe comme un couperet : « Une de mes danseuses a fondu en larmes, avoue David Llari, chorégraphe du Ballet de danse physique contemporaine. Elle s’est sentie privée d’une partie de sa vie. »
Avec ses collègues Clémence de Forceville et Angèle Legasa, respectivement violoniste et violoncelliste, la pianiste Pauline Chesnais vit ce second confinement comme une double peine : « Nous avions mieux accepté le premier parce qu’on se disait que la situation serait exceptionnelle et nécessaire pour endiguer l’épidémie, analyse-t-elle. Mais la résidence d’artistes où nous travaillons a fermé ses portes, nous privant de concerts et de répétitions ! » Une situation d’autant plus difficile à vivre que les intermittents se sentent sacrifiés : « Il n’y a pas eu un seul cluster dans les salles de spectacle, mais on nous empêche de faire notre métier », s’agace encore la pianiste, qui dénonce « le mépris du gouvernement pour la culture ». Une analyse partagée par Claire Audhuy : « Notre système est déjà complexe en temps normal, mais aujourd’hui même notre comptable est dépassé et ne sait plus comment nous guider. »
Une reprise lointaine
Outre le sentiment d’abandon, la question financière est au cœur des préoccupations. « Entre mars et août, j’avais déjà un manque à gagner d’environ 1 000 euros par mois », constate le technicien Arnaud Bouzeghaia. « Nous avons perdu 50 % de nos revenus, assure quant à lui le chorégraphe David Llari. Mais nous gérons toujours nos finances avec prudence, donc je peux continuer à payer mes artistes », concède-t-il.
Tous ses collègues n’ont pas cette chance. Certains confient avoir perdu « plusieurs milliers d’euros » à cause du seul reconfinement de novembre, l’offre culturelle étant habituellement pléthorique à cette période. Dans ces conditions, la reprise semble lointaine : « Comment imaginer que tout sera résolu dans deux mois ? Je ne vois pas comment trouver des cachets : tous les agendas se chevauchent, s’annulent et finissent par disparaître », regrette Claire Audhuy.
Plutôt que de mettre tout le secteur à l’arrêt en attendant le retour à la normale, artistes et techniciens plaident pour...
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