La manifestation d’une conscience écologique chez les artistes est ancienne. Mais la manière dont les arts abordent aujourd’hui la question du réchauffement climatique, et l’anxiété qui en découle, tient moins de l’engagement idéologique que de la réaction viscérale.
La scène s’ouvre sur une forêt aux teintes psychédéliques. Un merle grassouillet se joint au chœur des bûcherons qui viennent d’entonner, avec désinvolture, une version toute personnelle du Boléro. Mais l’oiseau n’a guère le temps d’atteindre la deuxième mesure : une énorme tronçonneuse scie la branche où il était posé. L’arbre, comme tous ceux de la forêt, était marqué d’une croix fatidique. Commence alors une fresque vertigineuse, une satire déroulée en panoramique et décrivant, le temps d’une variation ravélienne d’environ six minutes, le parcours de ces arbres abattus.
Dans le court métrage Mondo Domino, les arbres sont d’abord utilisés au bénéfice d’événements perçus comme superficiels et superflus : en l’occurrence, la Fashion Week, allusion aux débats qui avaient animé les défilés 2019-2020 où, en réponse à l’abattage par Karl Lagerfeld de chênes centenaires pour fabriquer les bancs destinés au public, Dior avait présenté sa collection en faisant défiler les mannequins au milieu d’une véritable forêt reconstituée, dont tous les arbres devaient être replantés par la suite.
Ici, les végétaux déracinés finissent par prendre leur revanche sur l’homme, en une série de catastrophes qui aboutissent à la destruction de la Terre et de ses habitants, y compris ceux qui auraient eu la bonne idée de se réfugier dans l’espace. L’humanité, dont l’avidité n’a d’égal que le voyeurisme et le besoin de consommation à vide, dont les valeurs périmées n’ont plus cours dans une globalisation mortifère, qui ne sait répondre aux difficultés collectives que par la violence, se voit enfin justement punie par celle dont elle a fait son esclave depuis plusieurs siècles : la nature.
Le graphisme nerveux, à la fois simple, presque naïf, et puissamment expressif de Suki, dont l’imaginaire s’est allié à celui du scénariste et musicien Stéphane Debureau, tous deux joyeusement épaulés par le compositeur Jean-Philippe Gréau, livre avec Mondo Domino le troisième volet de la trilogie Patrogalo, initiée par la coopérative artistique Utopi. Produit par Arte, le court métrage sera diffusé dès ce samedi 27 mars puis disponible en rediffusion pour une semaine sur Arte.tv. Après L’anguille, la fouine et le vautour et Les Pieds nus, Utopi s’est donné pour tâche de témoigner avec humour et férocité de l’urgence écologique où nous sommes, sans nier l’anxiété fondamentale, métaphysique – la solastalgie, selon le mot forgé par le philosophe Glenn Albrecht – où elle plonge une partie de la société. À commencer par les artistes.
Certes,...
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