Le Rassemblement national entend sabrer l’argent de la création et le reverser au patrimoine, observe dans sa chronique Michel Guerrin, rédacteur en chef au « Monde ».
Par petites touches tonitruantes, l’arc très droitier, de Marine Le Pen à Eric Ciotti, redessine sa vision de la culture et de l’audiovisuel public sous un angle inédit. Jusqu’ici, la doxa se limitait à dénoncer un argent gaspillé pour un art et des programmes de l’entre-soi. Il s’agit désormais de s’aventurer sur le terrain des contenus, des œuvres, afin d’être plus direct : arrêtons les gauchistes qui insultent la moitié des Français.
La nouvelle approche culturelle du Rassemblement national (RN) est à l’œuvre dans la commission d’enquête sur l’audiovisuel public, qui a démarré ses auditions à l’Assemblée nationale, mardi 25 novembre. Trente et un députés ausculteront jusqu’en mars 2026 « la neutralité, le fonctionnement et le financement » de France Télévisions et de Radio France. Le petit nouveau est le mot neutralité, posé par une commission qui, elle, a plutôt un profil orienté, avec pour rapporteur Charles Alloncle (Union des droites pour la République, UDR), bras droit de M. Ciotti, allié du RN.
On imagine les élus décortiquer les émissions, le pedigree des invités, les gestes ou les messages postés sur le réseau social X, les mots de chaque humoriste, tout cela donnant une ratatouille visant à prouver que l’audiovisuel d’Etat penche à gauche, alors qu’Aymeric Caron (La France insoumise), invité au match, le considère, lui, comme « le porte-voix du gouvernement ». Dans ce genre de comité, chacun voit midi à sa porte.
« Sauvagerie inédite »
Ce n’est sans doute pas un hasard si cette commission ouvre ses travaux après une attaque surprise du RN contre le Centre national du cinéma et de l’image animée (CNC). Elle a pris la forme d’un amendement, déposé à la mi-octobre, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2026, par Matthias Renault. Le député RN de la Somme entend supprimer le CNC et récupérer la moitié des quelque 850 millions d’euros de taxes perçus auprès de la filière pour la reverser au budget d’un Etat en manque d’argent.
Les milieux culturels ont dénoncé une « sauvagerie inédite », alors que, depuis des lustres, ça démange la droite et d’autres, la Cour des comptes aussi, de piocher dans la caisse du CNC – ça a même déjà été fait. Ce sont les mots du RN qui sont inédits, non sans écho avec le débat sur l’audiovisuel public : le CNC serait une « vaste entreprise de propagande », qui finance des films « idéologiquement orientés », des « navets et films gauchistes », en « décalage avec les attentes de nos concitoyens ».
Le RN cerne même le profil de films à financer à la place : « Des projets intéressants et rentables. » Encore faudrait-il savoir, sur le papier, quel film va connaître le succès. Sur Franceinfo, le député et vice-président du RN, Sébastien Chenu, a précisé : « Un bon film se juge au nombre d’entrées qu’il fait. » Entendez : trop de films n’entrent pas dans leurs frais, ce qui est possible, surtout en cette année 2025 où le nombre d’entrées va être inférieur à 20 millions par rapport à 2024.
« Moraliser » le CNC
Surtout, le RN estime que dans le vivier des bides, il y a bien plus de films empathiques sur la misère du monde que des fresques épiques à la Monte-Cristo. On sait aussi que 30 % des films aidés par le CNC font moins de 20 000 entrées, et que, là encore, les damnés de la terre sont en bonne place – un registre pas vraiment prisé par ce parti. Encore que L’Histoire de Souleymane (2024) brouille les cartes. Ce film raconte les galères d’un jeune Guinéen sans papiers en France, sans que l’on puisse le ranger dans la case militante, et c’est pour cela qu’il est bon. Il a totalisé près de 650 000 entrées, pour un budget modeste de 1,3 million d’euros.
M. Chenu entend « moraliser » le CNC, par exemple en écartant des aides tout film dans lequel un acteur ou une actrice aurait un cachet dépassant 500 000 euros. Sauf que cette mesure existe déjà. Il ne reprend pas, en revanche, celle mise en place en Italie (dont le système est proche du nôtre) depuis que...
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