
Que ferait le Rassemblement national au pouvoir, si au soir du 7 juillet prochain, il disposait d’une majorité pour gouverner ? Pour prétendre répondre à cette question, nous disposons aujourd’hui d’une palette à la fois étendue et pourtant imprécise d’éléments probants. Et ce n’est pas un hasard.
L’examen du RN au pouvoir, dans les municipalités françaises, permet de préciser la nature du moment historique dans lequel nous nous situons, et d’envisager la façon dont il pourrait faire à la culture et au patrimoine une « place majeure dans le redressement moral du pays » (livret Patrimoine du RN.
Mais il y a d’autre part le programme tel qu’il a été présenté à l’occasion de l’élection présidentielle de 2022, faisant suite à celui de 2017 et au projet du Front national, à l’occasion de celle de 2002. Les évolutions sont sensibles, mais le fonds de commerce reste relativement constant. Il est très cohérent avec ce que font les gouvernements d’extrême droite en Europe.
Une place modeste dans le programme du RN
Il ne faut pas aujourd’hui donner plus de cohérence et de profondeur à ce que serait un programme de gouvernement de la culture du RN. Pourquoi ? D’une part, il tient une place relativement modeste – même si elle est réévaluée – dans le projet politique. Le tournant néo-gramscien du RN – en référence à l’idée du philosophe marxiste selon lequel la conquête de l’hégémonie passe par le combat culturel – reste relatif.
D’autre part, ce programme est plus conçu selon une logique d’apprivoisement que de guerre culturelle. S’il est aussi respectueux – en apparence – des acquis (patrimoine, intermittence, pass culture, aides à la création, etc.), c’est aussi pour ne pas provoquer la levée de boucliers d’un milieu culturel à la réputation « grande gueule », plutôt valorisé par les citoyens, et imperméable à la posture du RN en général.
Ce discours de « dédiabolisation » et ces traits communs se constatent également dans la manière dont les quelques collectivités locales RN gèrent la culture. Qu’y voit-on ? D’une part, les leaders locaux du RN ne cherchent nullement à faire du bruit avec la culture. Julien Sanchez, à Beaucaire (Gard), a certes vu partir les cadres de son service culture, en a recruté de nouveaux en faisant de la bibliothèque municipale un placard commode pour les agents opposés à lui. Mais il a prolongé la saison théâtrale mise en place par l’équipe antérieure, y prononce un discours avant chaque représentation proposée par le même prestataire de spectacle présent dans la ville depuis plus de 20 ans.
Il a donné plus de relief aux cultures camarguaises et folklores locaux, en faisant un discours avant chaque concert du soir des fêtes de la Madeleine. Il inaugure la crèche par sa présence, ceint de l’écharpe tricolore, assumant le risque répété d’amendes dont il n’a cure.
Dans le cas de Beaucaire, comme ailleurs, on assiste à une repolitisation de la culture, au sens de la présence des élus au cœur de décisions habituellement confiés aux professionnels de la culture. La fragilisation de ces derniers reste relativement discrète, et difficile à contrer politiquement.
À Perpignan, Louis Aliot et son adjoint à la culture ont repris la main sur une politique qui se déclinait avec des institutions aux antipodes de ses valeurs, ce qui a pu produire des conflits avec la Casa Musicale, acteur majeur des musiques actuelles dans leur diversité sociale, voire le rejet de tout soutien à certaines esthétiques, comme le rap. Mais il a conservé son soutien à la manifestation phare de la ville : le festival de photojournalisme Visa pour l’image.
Si les icônes locales de la culture sont généralement protégées (notamment par les pouvoirs d’autres niveaux : intercommunalité, département, région, État), les acteurs associatifs les plus engagés dans l’éducation populaire ou la culture dans les quartiers sont discrètement privés de soutien directement (coupes dans les subventions) ou indirectement, par l’exigence du paiement d’un loyer au tarif sciemment exorbitant, comme on l’a vu à Hénin-Beaumont, avec la Ligue des Droits de l’Homme.
Une large place est, au contraire, faite aux cultures traditionnelles et folkloriques de chacun de ces territoires. La politisation, la folklorisation et le rejet de la diversité culturelle sont donc à la fois présents et discrets dans la gestion RN des villes. Rien d’étonnant à cela : ces municipalités ont une fonction assumée de laboratoire prétendant démontrer la capacité du RN à gouverner, en assumant la posture la plus sobre possible en termes idéologiques.
Le programme du RN pour la culture
Ce programme insiste d’abord, énormément, sur le patrimoine, dans sa version la plus conservatrice, centrée sur les bâtiments. Elle ignore la version la plus actuelle, qui se décline au pluriel et fait sa part aux patrimoines immatériels, ouverts sur les différentes communautés de citoyens vivant en France et ce qui fait patrimoine pour elles.
Les mesures y sont à la fois précises et très orientées. La refonte de la fiscalité – déjà très avantageuse pour les propriétaires, notamment en matière de succession – entend favoriser les détenteurs de châteaux et bastides. Elle s’accompagnerait d’une suppression des taxes sur le Loto du patrimoine, lequel, malgré sa modestie (l’équivalent d’une conservation régionale des monuments historiques), permet de financer des projets en partie différents de ceux suivis par le ministère de la Culture.
Pour asseoir encore cette politique, il est prévu d’augmenter considérablement le budget de réhabilitation du patrimoine, et l’accompagner par la mise en œuvre d’un service national du patrimoine concernant les 18-24 ans, d’une durée de six mois, renouvelable une fois. À ces chantiers de jeunesse, qui existent déjà, tout comme dans l’autre version des chantiers d’insertion, on se promet sans doute d’affecter la tâche du « redressement moral » cité plus haut.
Telle qu’elle s’exprime, cette politique joue essentiellement sur la forme et sur les moyens. Rien n’est dit sur les contenus de leur projet. Pour en avoir une idée plus précise, il faut faire l’hypothèse – peu audacieuse – que le patrimoine dont il est question sera évalué à l’aune de cette valeur de redressement moral en se basant encore une fois sur le programme de cette campagne : « la Nation se retrouve dans les lieux, paysages et monuments où elle s’est formée » (livret, p.7).
Il serait donc sous l’influence de la préférence nationale, laquelle renvoie à un âge d’or introuvable. Il passerait au mieux par l’invention d’un passé homogénéisé et mythifié que les historiens de l’art mettent en pièces, comme Gabor Sonkoly le fait à propos de la reconstruction du château de Buda et de ses partis-pris d’authenticité et d’instrumentalisation, et donc par une logique d’exclusion.
Orientation néo-libérale
S’il est difficile de détailler – et non d’imaginer – les contenus de la politique patrimoniale du RN, que dire des autres aspects ? La privatisation de l’audiovisuel éclaire la dimension néo-libérale et populiste du projet.
C’est un choix alternatif à celui de Giorgia Meloni en Italie, qui s’assure le contrôle plus direct des contenus, dans le cadre même de la propriété publique de la RAI : en Italie, l’extrême droite au pouvoir attaque les intellectuels.
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