
Statut des musiciens, inégalités entre régions, parité… Après un rapport sur l’opéra en octobre, celui sur les orchestres symphonique en France a été remis à la ministre de la Culture Roselyne Bachelot le mois dernier. État des lieux et perspectives, avant le Forum des orchestres qui se tient cette semaine à Metz.
Faut-il voir dans cette mission un énième comité Théodule ou bien la promesse de séismes majeurs dans le paysage symphonique français ? La réponse se situe sans doute quelque part entre les deux… Le 8 novembre, un rapport portant sur les orchestres permanents a été remis à la ministre Roselyne Bachelot par Anne Poursin, cheffe de l’Inspection de la création artistique au ministère de la Culture, et Jérôme Thiébaux, musicologue et professeur agrégé d’éducation musicale, tous deux épaulés dans leur tâche par un comité de suivi formé de représentants de l’État, des collectivités territoriales et de l’Association française des orchestres (AFO). Il fait pendant à celui sur l’opéra remis par Caroline Sonrier en octobre dernier.
Ce rapport-ci n’ambitionne rien moins que l’instauration d’un «nouveau pacte symphonique» adapté aux enjeux et aux pratiques culturelles du XXIe siècle. En clair, dépoussiérer un réseau dont les racines remontent pour certaines au siècle de Berlioz, soit le au XIXe … «Depuis le plan Landowski (1), il n’y avait pas eu de prise de parole de portée nationale sur la question des orchestres de la part du ministère», note Philippe Fanjas, directeur de l’AFO.
S’appuyant sur un état des lieux approfondi des trente et un orchestres permanents français (hors Opéra national de Paris), mais aussi sur des comparaisons avec l’Allemagne, la Finlande, la Grande-Bretagne, le texte liste une cinquantaine de préconisations. Des pistes sur lesquelles plancheront cette semaine, à Metz, musiciens, élus locaux et directions d’orchestre dans le cadre du 4e Forum des orchestres, organisé par l’AFO les 9 et 10 décembre. L’objectif : réfléchir à des feuilles de route et à des modalités pour que le rapport porte ses fruits.
En imaginant que ces recommandations encore très théoriques se transforment en mesures concrètes, enjambant avec succès les échéances électorales à venir, voici, brossé à grands traits, ce à quoi pourrait ressembler le monde symphonique de demain…
Une offre symphonique mieux répartie sur le territoire
Sur la carte des forces en présence, le rapport pointe « un manque de salles et de lieux », et surtout une forte disparité des situations : certains orchestres ne jouent que dans leur ville siège, d’autres tournent en Région, certains possèdent leur propre salle, d’autres sont sans domicile fixe, certaines Régions sont richement dotées (neuf orchestres en Île-de-France), d’autres sont démunies (zéro en Corse)… S’achemine-t-on vers un plan d’envergure de construction d’équipements neufs, voire vers la création de nouveaux orchestres ou le recrutement d’effectifs supplémentaires dans les zones déficitaires ? Il est trop tôt pour le dire.
Mais avant de songer à un tel programme d’investissement, on pourrait d’abord envisager «un plan d’aménagement acoustique des lieux», estime le directeur de l’AFO. Certaines Régions, comme l’Île-de-France, en auraient grand besoin. «On peut toujours jouer dans des gymnases, des églises, des salles des fêtes, mais cela ne peut se faire qu’en parallèle à la production de concerts dans les lieux conçus pour.»
Face à la vétusté observée dans certaines villes, Roselyne Bachelot a d’ailleurs déjà annoncé un vaste «chantier d’expertise» pour le premier semestre 2022, en vue d’une mise aux normes des salles qui le nécessitent. Des orchestres plus mobiles, donc, à défaut d’être plus nombreux, et disposant d’un réseau de salles adapté, où l’acoustique permet de livrer toute la richesse des nuances et de l’expressivité exigée par les partitions.
Des orchestres “plus visibles et plus lisibles”
Si le duo Poursin-Thiébaux reconnaît à nos orchestres une excellente qualité artistique, avec chacun leur identité propre, des chefs et des musiciens recrutés à des niveaux de plus en plus hauts, il regrette qu’ils ne soient pas assez bien identifiés par les citoyens. La volonté est de se démarquer de l’image guindée, passéiste, quelque peu «dix-neuviémiste», qui colle parfois à la peau de l’univers symphonique, alors qu’elle ne correspond plus guère à la réalité.
L’effort pourrait notamment passer par une recherche de convivialité dans l’aménagement des lieux de concert — sur le modèle des médiathèques, devenues aujourd’hui de véritables espaces de vie et de rencontre, et non plus seulement des guichets où l’on emprunte et rend des livres. «La salle de concert est un endroit où l’on doit avoir envie de venir et de rester, en journée comme en soirée, et de revenir», dit Philippe Fanjas. Il faut que ces équipements fassent « signes » dans la ville, au même titre que les préfectures de l’époque napoléonienne. «De même, si l’on ne peut pas accueillir des enfants avec leurs classes dans des espaces qui leur soient dédiés, on loupe quelque chose.»
Une gouvernance plus “horizontale”
Depuis quelques années, on voit fleurir les nominations de chefs où ce sont les musiciens eux-mêmes qui, à travers des processus de votes en interne, choisissent leur baguette. Une ère inaugurée en 2005 avec la désignation de Tugan Sokhiev au Capitole de Toulouse, en remplacement de Michel Plasson. Mais cette évolution pourrait aller plus loin, estime le rapport. Les structures de gouvernance seraient encore trop hiérarchiques, laissant peu de place à l’initiative individuelle. L’avenir serait donc à un fonctionnement plus démocratique, où le hautbois et l’alto auraient voix au chapitre au même titre que l’administrateur, le régisseur ou l’adjoint à la culture — du moins y tendraient-ils…
Dans les rangs, des musiciens aux parcours diversifiés…
Jouer les œuvres du répertoire devant un public payant dans une salle de concert, tel est le cœur de métier du musicien d’orchestre, ce vers quoi tend toute sa carrière, sa formation, ses années de travail acharné de l’instrument. Le rapport Poursin-Thiébaux l’enjoint aujourd’hui à orienter ses talents vers d’autres directions, d’autres lieux, d’autres publics. À intervenir par exemple davantage dans les prisons, les hôpitaux, les écoles, auprès de populations dites «empêchées».
Des dispositifs périphériques face auxquels les membres de l’orchestre nourriraient une certaine «méfiance», note l’étude : «Ils s’engagent dans leur mise en œuvre, mais craignent de voir leur travail collectif devenir minoritaire.» Pour Philippe Fanjas, ces projets doivent au contraire être vus non comme «une contrainte imposée par l’employeur», mais comme une «forme de créativité individuelle», «une façon de s’ouvrir à d’autres potentialités». «Ceux qui ont un goût pour cela doivent pouvoir le développer», dit-il, citant l’exemple des formations britanniques, où ...
Lire la suite sur telerama.fr