
Avec la réouverture ce lundi des cinémas, distributeurs et exploitants vont tenter, malgré les contraintes sanitaires, de résorber leurs pertes tout en renouant avec le public. La pénurie de blockbusters pourrait favoriser les indépendants.
Personne n’a été laissé sur le bord de la route. La totalité des quelque 5 900 salles de cinéma du territoire, réparties entre près de 2 000 enseignes, rouvriront tôt ou tard, à l’issue de leur mise en sommeil de 99 jours, se réjouit le président de la Fédération nationale des cinémas (FNCF), Richard Patry. Distributeurs et exploitants veulent croire que le sinistre qui ne les a pas emportés peut enfin être évoqué au passé : le premier jour du reste du déconfinement commence pour eux ce lundi 22 juin. «Malgré notre euphorie à rouvrir, il y a une inquiétude massive, reconnaît Patry, car tout le monde sait que le plus dur est à venir. 100 % des salles qui rouvrent pourront-elles tenir le choc des mois qui viennent ?» D’autant que le volume de charges qui incombe aux exploitants se trouve accru par la mise en place des mesures barrières. Initialement contraintes de ne rouvrir qu’à 50% de leurs capacités habituelles, les salles ont finalement reçu l’autorisation in extremis d’aller au delà de cette demi-jauge, apprenait-on dimanche matin de la bouche de Franck Riester sur Europe 1. Pour montrer quels films à l’affiche ? D’abord ceux dont la carrière fut fauchée en plein vol, que les cinémas se font le devoir de ressortir : ainsi du drame tunisien Un fils, ou des films à fort potentiel populaire (et dotés d’enjeux financiers à l’avenant) De Gaulle et la Bonne Epouse. Mais également des nouveautés : au rayon frais de ce lundi 22 juin figurera par exemple le drame allemand Benni de Nora Fingscheidt, ainsi que Filles de joie avec Sara Forestier et Noémie Lvovsky (lire critiques pages suivantes).
"Période laboratoire"
Les distributeurs ont pris acte d’un nouveau paradigme : accéder le plus généreusement possible aux demandes des exploitants afin de garnir au mieux les affiches. Pour compenser le handicap (finalement levé) de salles aux jauges diminuées, KMBO sortira Filles de joie sur environ 250 écrans, soit le double de ce qui était prévu initialement. «On a joué la carte de la solidarité avec les exploitants et on a maintenu toutes les sorties estivales que l’on pouvait, affirme le distributeur Grégoire Marchal. La Forêt de mon père au 8 juillet, notre thriller allemand Lands of Murders le 29 juillet, le film d’animation pour enfants Dreams le 5 août.»
L’incertitude qui pèse sur la période dissuade toutefois de fixer à ces sorties des objectifs chiffrés. «Si Filles de joie fait 100 000 entrées, je serai très content», estime prudemment Marchal, tandis que son confrère Eric Jolivat, qui sort ce lundi le beau film péruvien Canción sin nombre (lire critique page 27) sur une quarantaine d’écrans, s’avoue incapable d’estimer son potentiel. «On trouve en tout cas que c’est un vrai film de cinéphile adapté à la reprise, car il faut absolument découvrir sa beauté plastique sur grand écran. On se dit qu’on verra bien.» Toutes les sociétés ne sont pas prêtes à jouer leur va-tout cet été. S’y sont d’abord aventurées celles qui peuvent se targuer de films à belles têtes d’affiche, ainsi la comédie Tout simplement noir, buddy movie estival au casting all stars (Fary, JoeyStarr, Ramzy Bedia, Eric Judor, Fabrice Eboué, Lilian Thuram…) est attendu le 8 juillet et pourrait bénéficier du terrain dégagé du côté des teen movies et autres locomotives américaines du box-office qui, en d’autres circonstances, lui auraient fait de l’ombre.
«En ce moment, tout le monde commence à dater ses films très sérieusement à partir de mi-août», remarque par ailleurs Eric Lagesse, le patron de Pyramide. Lui-même a reporté son challenger britannique The Singing Club, porté par Kristin Scott Thomas, au 11 novembre. Mais entrera dans la danse estivale avec les Parfums, programmé dans pas moins de 400 salles dès le 1er juillet : «Un feel good grand public avec Emmanuelle Devos, dont on se dit qu’il peut être le film idéal du retour en salles.» Au-delà d’un discours de solidarité avec les exploitants à forte teneur sentimentale, les distributeurs contemplent les potentiels avantages d’un pari commercial. «Dans la mesure où le 22 juin ne bénéficie pas d’une offre de films gigantesque, on sera moins soumis à la pression de la concurrence que d’habitude», veut croire Lagesse, qui redégaine aussi le très beau documentaire Kongo, initialement sorti le 11 mars et aussitôt naufragé. Avant que la pandémie ne lui coupe le sifflet - «le pari constituait à faire vivre le film dans les salles grâce aux rencontres et aux débats, qu’il est malheureusement difficile de reprogrammer aujourd’hui…»
C’est sans trop d’optimisme que sa consœur de Norte Distribution, Valentina Novati, ressort quant à elle le magnifique Si c’était de l’amour de Patric Chiha - dérivé de l’élaboration d’un spectacle de danse de Gisèle Vienne sur les rave party, de nature à inspirer une nostalgie totale à tous ceux qui ne pourront pas aller en club avant longtemps : «Je crains que si on arrive à 10 000 entrées, ce soit un miracle…» Les petites structures n’ayant pas les moyens d’engager de nouveaux frais marketing, la balle est dans le camp des exploitants et de l’accompagnement qu’ils voudront bien proposer autour des films. L’association des Cinémas indépendants parisiens (CIP) nous assure avoir des...
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